Art & Architecture
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Partez à la découverte du rôle d'Antoine Watteau et de François Boucher dans la diffusion du goût pour les décors chinois.
Si la fascination que la Chine exerce sur les imaginations atteint son apogée dans les arts décoratifs français au XVIIIe siècle, elle se développe en France dès la création en 1664 de la Compagnie des Indes Orientales, puis celle de la Compagnie de Chine, suscitant déjà la passion chez les curieux. Les grands de la Cour possèdent meubles, coffrets de laque, porcelaines, étoffes, peintures et autres objets de la Chine et du Japon. En 1670, Louis XIV décide de construire à Versailles un Trianon de porcelaine, entièrement décoré à la chinoise. De fantastiques fêtes chinoises sont également organisées, à l’occasion desquelles le roi et la Cour s’habillent en chinois. Lors du carnaval de février 1700, le journal le Mercure Galant relate les fêtes qui débutent à Marly par un divertissement intitulé « Le Roy de la Chine » puis, parmi d'autres manifestations, on déguste, quelques jours plus tard, un buffet à la chinoise d’une somptuosité inouïe.
Dans le domaine décoratif, Antoine Watteau a joué un rôle majeur dans la diffusion du goût pour les motifs chinois. Vers 1710, il est chargé de réaliser une partie du décor du pavillon de chasse de la Muette par son propriétaire, grand collectionneur de porcelaines, de laques et d’objets asiatiques. Watteau y peint des personnages chinois : musicien, médecin, jardiniers, eunuques, femmes de toutes conditions. De ce décor aujourd’hui disparu, démonté dès le XVIIIe siècle, ne subsistent qu’une série de trente estampes vendues en 1731, gravées entre autres par François Boucher.
Ces estampes entretiennent de grandes similitudes dans leur inspiration avec les figures du décor en camaïeu du cabinet de Champs, au point d'en retrouver quelques motifs. Une des douze planches des « scènes de la vie chinoise » offre par exemple le motif du carillon que l’on retrouve sur l’un des panneaux du cabinet, ou encore une scène de pêche ou de lecture. Quelques éléments épars se retrouvent ainsi sur les boiseries, qui laissent à penser que les scènes de François Boucher ont au moins influencé le décorateur de ce cabinet. Ces scènes de la vie chinoise ont du reste été parmi les plus copiées pour décorer étoffes, papiers peints, céramiques, mobilier, petits objets, boiseries de cabinets, dans tous les pays européens.
Le musée des Arts décoratifs de Paris conserve un dessus-de-porte en camaïeu, inspiré d’une scène de la vie chinoise de François Boucher, qui peut tout à fait être comparé au décor du cabinet de Champs, de même que des dessus-de-porte en camaïeu bleu et blanc, présentées dans l’appartement bleu de la comtesse de Mailly au château de Choisy (Copenhague, The David Collection), à proximité d’une commode elle aussi traitée en camaïeu bleu. Cette inspiration demeure vivace tout au long du siècle, notamment par le biais d’ornemanistes voyageurs, comme Jean Pillement (Vente Christie's, New York 25.01.2012).
En l’absence d’informations plus précises sur les travaux commandés par le duc de la Vallière, dans le « salon d’assemblée », mentionnés par Dezallier d’Argenville dans son Voyage pittoresque des environs de Paris (1755), le décor en camaïeu bleu qui lui fait suite a été lui aussi attribué à Christophe Huet, en rapprochant ce travail des dessus-de-porte de chinoiseries en camaïeu bleu conservés à l’hôtel de Matignon, attribués à Christophe Huet.
Le nom du peintre et ornemaniste Alexis Peyrotte a également été avancé avec certains arguments. En effet, le peintre, arrivé à Paris depuis 1745, réalise deux ans plus tard le décor du théâtre des petits appartements à Versailles, que dirige le duc de La Vallière. Il est probable que le duc lui passe ainsi commande pour son château de Champs. L’écriture stylistique est en effet comparable à ce qu’il exécute pour le château de Fontainebleau, dans un passage entre la salle du trône et la salle du conseil. Le mobilier commandé est à l’unisson de ce nouveau décor, afin de créer un ensemble assorti. Les deux encoignures et la toilette de la duchesse de La Vallière sont ainsi « peints en camayeu bleu fond blanc », peut-être aussi par Peyrotte dont le talent s’exerce également sur le mobilier.
Emmanuelle Brugerolles (dir.), François Boucher et l'art rocaille dans les collections de l'école des beaux-arts, Paris, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 2003-2006.
Nicole Garnier-Pelle; Anne Forray-Carlier; Marie-Christine Anselm, Singeries et exotisme chez Christophe Huet, Editions Monelle Hayot, 2010.
Nicole Riche, Laurent Félix, Maria Gordon Smith, Jean Pillement, paysagiste du XVIIIe siècle (1728-1808), cat. exp., [exposition] du 18 octobre au 21 décembre 2003 Musée des Beaux-arts de Béziers, Béziers, Ville de Béziers, 2003.
Xavier Salmon, Alexis Peyrotte, 1699-1769, ou les grâces du rocaille à Fontainebleau, Fontainebleau, Société des Amis et Mécènes du château de Fontainebleau, 2012.
Renaud Serrette, « Les Enfants de Boucher du château de Crécy au château de Sceaux », L'Estampille-L'Objet d'Art, juillet-août 2010, p. 1-8.
Renaud Serrette, Le château de Champs, Paris, édition du patrimoine, 2017.
Isabelle Tillerot, Orient et ornement, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Centre allemand d’histoire de l’art, 2018.
Une des provinces du rococo : la Chine rêvée de François Boucher, Paris, In Fine éditions d’art, 2019.